• Le Mystère de la tombe de l'ingénieur des mines

    Voici un texte que j'ai écrit entre octobre et décembre 1996, alors que j'étais au fond du trou matériellement, mais avec encore toute ma tête, ma fierté, et l'espoir de m'en sortir, je découvrais Lyon l'année précédente et je tentais d'y trouver un emploi au plus vite, ce qui sera fait quelques mois plus tard...

    Ce texte est une plaisanterie à insérer dans ma rubrique "L'humour c'est du sérieux !" A vous de me lire jusqu'au bout, voire deux fois plutôt qu'une ! Notez que je suis né à Auchel (Pas-de-Calais), la commune ici citée, Bourg-Auchel, n'existe pas mais vous devinez qu'il y a quand même un lien avec moi...

              Le Conseil municipal de Bourg-Auchel s’était réuni pour élire un nouveau maire, et son premier acte avait été d’accepter le voeu testamentaire du maire défunt, ingénieur des mines, de faire déposer une couronne sur sa tombe chaque année à la Toussaint, cela d’autant plus facilement que ladite tombe avait toutes les allures d’un monument à la gloire des mineurs.

               Le décès étant récent, une quinzaine de jours avant la Toussaint, l’ouvrier du village avait reçu l’instruction de parer au plus pressé, c’est-à-dire de faire en sorte que le caveau soit présentable, quitte à cimenter et sceller l’ensemble la semaine suivante, il devait en outre nettoyer les allées du cimetière et surtout bien fermer les grilles pour éviter que les mauvais garçons du village ne fassent voyager nuitamment les gerbes de fleurs et les potées de chrysanthèmes de la Toussaint d’une tombe à l’autre. Un muret en grès du pays assurait une protection suffisante sur tout le pourtour de l’endroit.

              L’ingénieur n’ayant réussi à se faire que des ennemis ici-bas par son très mauvais caractère, il fut décidé qu’une petite couronne suffirait, au reste les deniers de la commune étaient comptés pour clore le budget de l’année. Par ailleurs, c’est à Gustave, boiseur aux Houillères à la retraite, que revint l’honneur d’accompagner le maire dans cette digne cérémonie.

              Notre nouveau maire, n’écoutant que son bon cœur et accessoirement la météo qui annonçait un long week-end ensoleillé, décida de ne pas en faire trop pour la première fois qu’il présidait une cérémonie. Il battit le rappel la veille au soir afin que tout soit prêt à 9 h pour ce vendredi de Toussaint de l’an de grâce 1996.

              Quelle ne fut pas la surprise de nos édiles municipaux de découvrir un attroupement bruyant devant le fameux caveau : le curé et son ombre Honorine (sa gouvernante), quelques bigotes et l’ouvrier discutaient à voix haute dans ce lieu de recueillement autour d’un magnifique parterre de fleurs de toutes les variétés et de toutes les couleurs entourant la dalle de marbre et un énorme bloc de charbon de deux mètres cubes posé dessus.

              L’ami Gustave tenait la couronne en tremblant, accompagné du maire, c’est que cette couronne lui parut de plus en plus lourde à chaque pas ! Il faillit bien chanceler, tandis que les autres observaient la scène en retrait. « C’est l’émotion, vous comprenez », s’excusa notre homme en direction du premier magistrat. Ce dernier, à mesure que l’on approchait, devenait furieux : la petite couronne faisait vraiment ridicule devant un tel étalage de fleurs. Le maire rougissait à la même vitesse que Gustave pâlissait !

              On se tut, laissant le passage à nos deux hommes. Il fallut dégager quelque bouquet garni pour déposer l’hommage officiel de la République. Nouvelle surprise : la dalle était parfaitement scellée, le bloc de charbon également et le tout deux fois plutôt qu’une ! En vérité on soupçonna que les fleurs n’étaient là que pour cacher le travail exécuté pendant la nuit. Cela expliquait aussi le dégarnissage de quelques tombes alentour…, la voyoucratie locale était cette fois visiblement hors de cause !

              Le maire, instituteur de son état, tonna en direction du prêtre : « Par tous les saints, doux Jésus (dernier combattant de la guerre des écoles, il ne manquait pas une occasion d’agresser verbalement le représentant de l’Eglise), Monsieur le Curé, vous allez entonner un « Veni Creator » ou ordonner «Vade Retro Satanas » ?

              — Puisque vous convoquez du monde autour de nous, Monsieur le Maire, je ferai dire un Pater Noster pour n’oublier personne ! »

              Fin connaisseur de la nature humaine et averti des fausses peurs de ses ouailles, l’abbé savait aussi que l’ingénieur n’avait ni famille ni ami connu, il se demanda quel puissant remords avait pu engendrer si promptement un résultat aussi constructif ! Il ne tarderait guère à le savoir dans le secret des confidences voire même au confessionnal. Il souriait à l’idée d’une utile pénitence, par exemple entretenir cette belle tombe d’un discret coup de brosse de temps à autre.

              On avait bien un peu souri quelques jours auparavant dans le coron, en apprenant par la télévision les ravages causés par l’incendie dans le fameux tunnel sous la Manche. « Même les voussoirs ont fondu ! Encore heureux qu’il n’y ait pas eu de mort comme chez nous à la mine à cause du grisou » . Les « gueules noires » sont amères, beaucoup étaient encore jeunes quand le dernier puits avait fermé, le chantier du siècle sous la Manche allait leur donner quelque raison d’espérer se refaire. Mais non ! Ils durent en grand nombre se satisfaire de leurs projets d’avenir en réparant de quelques briques et tôles ondulées les clapiers et pigeonniers au fond de leurs jardins..., c’est un tout autre chantier, vous en conviendrez !

              Rentrant d’une cure de deux mois dans le Var, la seconde patrie de nos mineurs, région privilégiée qu’ils choisissent avec raison comme lieu de vacances voire de retraite bien méritée, Gustave se tenait au courant des derniers potins survenus en son absence. C’est ainsi qu’il venait juste d’apprendre l’incident survenu dans le tunnel sous la Manche. 

              Grand et solide gaillard, mis à la retraite prématurément, il pestait tant qu’il pouvait contre les techniciens du tunnel. « Ils ne sont même pas venus me chercher ! Dieu sait pourtant si j’en ai fait des galeries ! Voilà le résultat ! Même pas capables de faire tenir du béton sous cinquante mètres alors que nous on étayait à trois cents, cinq cents mètres de profondeur avec du bois ! Ils n’avaient qu’à nous le demander, à nous les mineurs, mince alors !

              —  Il ne s’est pas écroulé, ça a brûlé à cause d’un camion, lui répond son épouse Germaine.

              —  C’est pareil ! ça veut dire qu’ils ne savent pas faire du béton qui tienne au feu. Ils auraient dû nous demander conseil ! 

              — Te demander conseil ! A toi ! Tu ne manques pas de toupet, tu ne regardais jamais la télé quand tu étais à ta cure à La Napoule pour soigner ta silicose ? Des maisons se sont effondrées dans le coron d’à côté, à cause des trous que tu as faits avec tes galibots cent mètres en dessous. Une route s’est même ouverte, si large qu’on peut faire passer un paquebot !

              — Il n’y a pas eu de morts, au moins ?

              — Non heureusement, tout le monde est sorti quand les murs ont commencé à « barloquer ». Sauf l’ingénieur des mines, il était mort dans son lit la veille et la bonne du curé, Honorine, l’a endimanché comme il faut pour les visites et le lendemain matin le plafond lui est tombé sur le corps !

              — Bien fait pour lui ! Il a passé toute sa vie à nous enguirlander ! Ah elle est bonne celle-là !

              — C’est vrai, tu as bien raison dans le fond, on raconte même que quand on a retiré un morceau de plâtre sur sa figure, on a cru qu’il était en colère et qu’il allait sermonner tous ceux qui étaient venus aider à nettoyer la chambre mortuaire pleine de morceaux de plâtre tombés du plafond !

              -- Je n’irai sûrement pas mettre des fleurs sur sa tombe ni brosser son caveau en tout cas ! »

              Gustave se souvenait, que de coups de gueules il avait eus avec lui, l’ingénieur, ce vieux garçon toujours prêt à en découdre avec ses ouvriers. Comment ce fut même possible qu’il soit devenu maire du village ?

              « A propos, reprend Germaine, tu sais qu’il a eu un drôle d’enterrement, il avait demandé dans son testament qu’on mette une dalle de marbre sur un large caveau avec une grosse gaillette de charbon par dessus. Il l’avait gardée dans sa cour exprès et il avait déjà fait clouer son nom dessus. Le gars de la commune a dû prendre une grande remorque pour ramener le charbon au milieu du cimetière. Le conseil municipal n’a rien trouvé à redire au testament, même que pour une fois on aura un souvenir de la fosse au milieu des tombes des familles de mineurs.

              — Quand même, ce n’est pas sur sa tombe à lui qu’il aurait fallu la mettre, la gaillette, il ne la méritait pas, ce « rouspéteur ». Non content de nous avoir fait courber l’échine sa vie durant, il s’est arrangé pour qu’on s’incline devant lui toute l’éternité !

              — De toutes façons, l’ouvrier n’aura pas fini le travail, il m’a dit ce matin qu’il s’était contenté de déposer la dalle et le gros morceau de charbon en place et qu’il cimenterait la semaine après la Toussaint. N’oublie pas non plus que le nouveau maire t’a désigné en tant qu’ancien porion (contremaître) pour déposer une petite couronne en souvenir du mort devant sa tombe et son bloc de charbon.

              — Ah le renégat, il ne pouvait pas le faire lui-même ?

              — Mais dis-moi, songe Germaine, tu ne te rappelles pas ce que tu m’as raconté, à ton dernier jour à la fosse, cette poutre que tu as posée exprès de travers pour faire une dernière blague à l’ingénieur. Ce n’est pas toi qui m’as dit qu’il n’y avait pas de danger, d’après les calculs la galerie passait juste à cent mètres sous le milieu du cimetière ?

              — Par sainte Barbe (patronne des mineurs, NDLR), mais c’est vrai ! Et si le sol tremble encore, si la dalle ne tient pas, la gaillette va lui tomber dessus ! Il va être noir comme du charbon, juste quelques jours après avoir reçu du plâtre sur la figure ! Il est bien capable de revenir me crier dessus une dernière fois, au moment où il aura sa couronne ! »

    Gérard LIGNIER

    15 décembre 1996


  • Commentaires

    1
    Samedi 2 Novembre à 11:53

    Coucou Gérard 

    J'ai lu d'un bout à l'autre  ton texte et je n'ai pas pu m'empêcher de rire en imaginant ce morceau de charbon sur sa tombe et la situation si bien racontée par tes soins.

    De l'au delà , Sainte Barbe a du en ouvrir de grands yeux :)

    L'ingénieur devait avoir un sacré caractère et des exigences dans son testament apparemment .

    Merci pour le récit Gérard ,j'ai bien aimé .

    Bon samedi , grosses bises

    2
    Dimanche 3 Novembre à 08:18

    Merci pour ce partage

    ____

    Trop mal à mon épaule et au bras pour passer hier

    Suis allée voir Maman Yvonne

    Comme on ne lui coupera pas la jambe entière, 

    elle ira en soins palliatif s après 

    Bonne journée

    Big biz endimanchées  gé

    3
    Dimanche 3 Novembre à 12:14

    Bon dimanche Gérard , grosses bises !

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    4
    anycolour
    Dimanche 3 Novembre à 18:43

    un voisin de ma mère , peu loquace avait quand même une blague spécial enterrement

    il disait

    " je ne vais pas à son enterrement car il ne viendra pas au mien"

     

    xxxx

    autres moments remarquables

    ma tante et mon oncle vont à un enterrement d une femme décédée

    pendant la cérémonie , ma tante voit la supposée morte dans l assemblée , bien vivante et alors se demande , bein c est l enterrement de qui ?

    il y avait eu une erreur de transmission d information

     

    xxxx

    moi aussi j ai été victime dune mauvaise transmission

    lors d un rassemblement je vois les personnes parler entre elles , plus que d habitude

    je me rapproche

    on me dit : tu sais lefebvre est décédé

    pour moi je pensais que le président Mr Lefevre de notre club était décédé , je donne ma part pour une couronne

    qui sera portée par les cadres du club sportif

    et une ou 2 semaines plus tard je vois le président à la séance d entrainement !!!!

    je m'en vais trouver un membre qui m avait dit que lefevre était décédé

    je lui dit mon incompréhension , je ne comprends plus , tu m as bien dis que lefebvre était mort .....

    en fait c'était la femme du président qui était morte , eux avaient oublié de dire Mme lefevre , ou la femme du président et s ils avaient dit morte c était plus facile  que décédé décédée

    5
    anycolour
    Dimanche 3 Novembre à 18:52

    dans un cimetierre ils ont donné des noms d arbres aux allées :

    allée des peupliers

    allée des chênes

    mais celui qui a fait les panneaux indicateurs s'est trompé sur certains pancartes:

    allées des os rangés

    allée des êtres

     

      • Dimanche 3 Novembre à 19:08

        Il y a quelque chose de bien à pratiquer l'humour quand il s'agit de bière, tant que ça ne va pas plus bas que faire des cendres...

    6
    anycolour
    Dimanche 3 Novembre à 19:24

    un bloc de charbon de 2 m^3  , c est quand même énorme , avait il pensé aux autres tombes voisines .....esthétique et chute , désaggrégation

    soit un morceau de charbon en inclusion et message inclus

    soit une lampe de mineur

     

      • Lundi 4 Novembre à 12:23

        Bonjour, un gros bloc de charbon, j'en ai bien vu un, exposé pendant fort longtemps dans la grande salle s'accueil de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Béthune, en hommage à tous les mineurs des Houillères du Nord-Pas-de-Calais. Il avait été recouvert d'une bonne couche de vernis pour éviter à la poussière de charbon de salir les lieux à la longue. Il parait qu'il a été enlevé depuis, qu'est-il devenu, je ne sais pas... C'est en pensant aussi à ce gros bloc de charbon d'une seule pièce que l'idée m'est venue de le faire apparaître dans le jardin d'un ingénieur, pourquoi pas ? Ce n'est pas impensable. Autre chose encore, c'est que des cimetières j'en ai vus beaucoup, ceux du Nord m'ont toujours paru comme les plus fleuris que j'ai jamais vus...

    7
    Lundi 4 Novembre à 08:18

    Bon lundi

    On va voir Vio ce matin

    Et plein d'autres choses à faire cet AM

    Big biz  gé

    8
    Lundi 4 Novembre à 08:18

    Incroyable le morceau de charbon

    9
    Lundi 4 Novembre à 14:03

    Bonne journée Gérard , grosses bises

    Anycolour a trouvé le chemin qui mène à ton blog, c'est super !

    On ne s'ennuie pas avec lui et son imagination est sans fin .

    10
    Mardi 5 Novembre à 10:45

    Mots et diversité créent de belles rencontres et un épanouissement à distance , c'est super !

    Bonne journée Gérard ,grosses bises

    11
    Mercredi 6 Novembre à 11:12

    Sans habiter en ville !!!smile

    Belle journée Gérard ,grosses bises ensoleillées .( Prometteur , il sort timidement .)

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